Et mes yeux se sont fermés ; Patrick Bard.

Fiche d’identité ;

J’ai été écrit par Patrick Bard et publié aux éditions Syros, le 25 août 2016. Je suis un peu moins de 200 pages à dévorer et, si je t’intéresse, tu me trouveras au rayon des romans contemporains. Je suis un tome unique, si jamais tu te posais la question.
Synopsis ;
Tout le monde change durant l’adolescence. Maëlle n’est pas différente des autres filles de seize ans. Cette année-là, elle passe de plus en plus de temps sur facebook, abandonne le sport, modifie sa façon de s’habiller, quitte son petit ami…. Sans hésitation ni compromis, elle prend un virage à 180°. S’il y a une chose qui ne change pas chez Maëlle, c’est son caractère déterminé. C’est pour sauver le monde que, victime d’un rapt mental, elle rejoint les combattants de Daesh.
Maëlle devient Ayat.

Mon avis ;

Voici l’une de mes je-ne-sais-trop-combien chroniques en retard : j’ai reçu ce livre en tant que service presse — avec la couverture blanche et tout le bordel — quelques temps avant sa sortie, grâce au site lecteurs.com et les éditions Syros (que je remercie encore chaleureusement) dans le cadre de l’Explo’Book. Alors, rassurez-vous : j’ai bel et bien tenu mon engagement et ai chroniqué le bouquin moins d’un mois après l’avoir reçu, sur le site sus-cité cela dit. Je n’ai pas pris le temps plus tôt d’adapter la chronique écrite là-bas pour mon blog — parce que je n’ai pas envie de me contenter d’un banal copié-collé, qu’il me fallait rajouter de petites choses avec un peu de recul (et depuis le temps, c’est clair que du recul, j’en ai).

Depuis les attentats de Charlie Hebdo, on a pu voir fleurir les bouquins sur la radicalisation et l’embrigadement un peu partout ; c’est à vitesse grand V qu’ils ont envahi les rayons et surtout les présentoirs, rejoints plus tard par ceux sur la France, l’égalité, la laïcité, titrés Je Suis Paris, bref : vous l’avez tous vu autant que moi si vous avez mis les pieds dans une librairie après les horreurs qui ont frappé notre pays. Cela dit, je n’avais jamais passé le pas de me plonger dans un roman qui en parlait, allez savoir pourquoi. Peut-être que je n’avais pas envie d’être « concernée » ? Peut-être que ça me faisait peur, que je ne voulais pas voir que c’était souvent des jeunes de mon âge ou à peine plus vieux à qui l’on retournait le cerveau pour qu’ils rejoignent Daesh ? Sans doute… Le tout est que ce bouquin m’a été proposé, et que je l’ai demandé. Que je l’ai reçu. Que je l’ai lu.

Je suis veuve, deux fois veuve, et je n’ai que seize ans. Mon premier mari a été pulvérisé par une roquette avant que j’aie eu le temps de le rencontrer. Ils ont tué le second quand nous avons fui la Syrie ensemble.

Lorsque j’ai entamé la lecture de ce bouquin, je ne m’attendais pas à être happée comme je l’ai été. Les pages ont défilé toutes seules sous mes doigts, je voulais comprendre, je voulais savoir comment tout ça allait se terminer. Je pense que l’accessibilité de la narration a joué dans la rapidité à laquelle j’ai lu ce bouquin : les mots sont simples, les discours sans fioritures, on va droit au but, et pour ce genre de récit je pense que c’est une bonne chose. J’ai aussi apprécié que l’on alterne entre plusieurs narrateurs, de mon point de vue c’est une méthode qui permet d’appréhender les événements de différentes façons, de nuancer quelque chose d’un peu trop brut, de voir plusieurs facettes de l’événement, la façon dont les proches peuvent ne rien remarquer, les parents croire qu’il ne s’agit que d’une rébellion d’adolescence, que c’est normal à cet âge, après tout. Patrick Bard a bien manié le jeu, ne serait-ce que parce que le style de narration diverge d’un personnage à l’autre : la façon de parler, le langage n’est pas le même, c’est appréciable et ça rend la chose un peu plus tangible.

Cela dit, si j’ai vraiment apprécié les chapitres vus par Maëlle, sa sœur et sa mère, qui ont quelque chose de plus profond que les autres, parce que ce sont trois personnages vraiment proches qui vivent sous le même toit et se connaissent depuis toujours, j’aurais apprécié un ou deux chapitres vus par son père. Pour moi, c’est un acteur important dans la vie de Maëlle, c’est un élément clef, bref : j’aurais voulu qu’on en sache plus sur lui et sa fille, son rôle dans tout ça et la façon dont il appréhendait les choses. J’aurais aussi voulu voir les autres personnages un peu plus développés… Par exemple, Hugo s’en tient à son rôle de petit ami doué en maths et puis c’est fini, rien de plus, il perd Maëlle et l’on ne parle plus de lui, tant pis ; j’ai l’impression aussi que Souad n’est là que pour montrer “attention, ce roman ne fait pas d’amalgame entre Daesh et les musulmans”, une façon de se donner bonne conscience, d’alléger un peu un sujet dur, mais ça tombe presque comme un cheveu sur la soupe. C’est dommage, d’autant que c’auraient été deux personnages intéressants à développer un peu plus, comme le professeur de français de Maëlle, d’ailleurs ! Personnage que j’ai apprécié, mais sur lequel on restait encore une fois trop en surface : dommage.

Parce que, de toute façon, l’adolescence, ce n’est rien d’autre que ça : changer. Ça vous met parfois très en colère. J’essaie de me souvenir comment c’était, pour moi. Le monde des adultes, dans lequel vous entrerez bientôt et qui vous rend folle de rage au point de le refuser. Votre corps, ce qui se passe en vous et que vous ne comprenez pas. Le temps des portes qui claquent.

Il n’empêche qu’une fois ce bouquin refermé, je n’ai pas pu m’empêcher d’y repenser : il m’a fait réfléchir… Il faut dire que la jeune Maëlle a quasiment mon âge, à peine moins et, avec son amour pour la langue française et la littérature, en sa qualité de petite favorite du professeur de français, elle a pas mal fait écho à ma propre personne. Je me voyais moi dans son portrait à elle ; j’ai fait lire le roman à ma mère et elle en a dit la même chose : ce qu’elle entendait dans le discours du professeur vantant les mérites et le talent de Maëlle, elle l’avait entendu dans la bouche de mes professeurs lorsqu’ils parlaient de moi.
Ma mère m’a dit que ça lui faisait peur. A cet instant précis, j’ai compris que les radicalisés n’étaient pas forcément des êtres ayant déjà quelques penchants vers la religion ou des idées suivant la morale de Daesh ancrés en eux qui s’en allaient en Syrie. Non, non, j’ai compris que c’étaient aussi des jeunes comme moi, parfois, souvent même athées, avec leur histoire, leurs soucis, leurs idéaux, avec un esprit critique quelquefois acéré et pourtant pas assez pour échapper aux griffes des extrémistes.

Alors, oui, cette lecture, malgré le côté un peu trop “romanesque”, avec sa Maëlle en apparence trop parfaite, et cette “happy end” qui, de ce que j’en sais, n’arrive que trop rarement dans la réalité, m’a tout de même touchée, parce que j’ai compris qu’il suffisait de trop peu pour tomber “de l’autre côté”.

La seule ombre au tableau, chez Maëlle, c’était son impertinence. Cette insolence chronique constituait peut-être la seule vraie limite à son intelligence. J’ai longtemps pensé que c’était au contraire la preuve d’une belle indépendance d’esprit. Je me suis trompé, je le sais à présent. Et lourdement, au vu des événements qui ont suivi.

De mon point de vue, Et mes yeux se sont fermés est un livre à lire. Il permet de prendre conscience de certaines choses sans risquer le trop-plein d’implication émotionnelle que pourrait provoquer un témoignage pur et dur, puisqu’ici on reste dans de la fiction — j’admire cela dit le travail de recherche de l’auteur, que l’on devine à la moindre ligne du roman ; j’aurais quand même aimé moins ressentir le côté fictionnel pour m’imprégner un peu plus du récit. Qui sait, peut-être que ça pourrait aider les jeunes à comprendre qu’il ne faut pas croire tout ce que la radicalisation leur promet, que ça pourrait leur apprendre à s’en méfier, du même coup que ça pourrait aider les parents à intervenir au moindre signe de changement chez leur enfant, avant que ce ne soit trop tard pour empêcher le processus d’embrigadement ? Sait-on jamais… Tout est bon à prendre !

Pour conclure, je dirais qu’Et mes yeux se sont fermés fut une très bonne lecture malgré quelques points faibles qui auraient pu être évités, un roman que je suis très heureuse d’avoir découvert, et que je recommande chaudement pour ceux et celles qui, comme moi, veulent en apprendre un peu plus sur Daesh et ses méthodes sans trop oser fouiller dans les témoignages ou autobiographies un peu trop durs peut-être !

Top & flops ;
c’est top ; une certaine réalité bien représenté, la dégringolade d’une adolescente banale à l’esprit libre dans les sphères de la radicalisation, les narrateurs multiples utilisés à bon escient. mais ça flop ; le manque de chapitre du point de vue du père, le côté fictionnel un peu trop présent, des personnages pas assez développés.
★★★ ; bon moment lecture !
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