À la place du cœur, saison 1 ; Arnaud Cathrine

Fiche d’identité ;

Auteur ; Arnaud Cathrine
Editeur ; Robert Laffont
Collection ; R
Parution ; septembre 2016
Nombre de pages ; 243 pages
Genre ; jeunesse, drame, contemporain
Prix ; 16.00€ sur Amazon
Synopsis ;
Six jours dans la peau de Caumes qui vit son premier amour.
Six jours de janvier où la France bascule dans l’effroi.

Mon avis ;

Je ne sais pas sur quelle rive aborder ce roman, je l’admets. Il faut savoir que je l’ai lu par deux fois ; la première en juin, et la deuxième plus récemment, fin septembre. Comme je n’avais pas aussitôt rédigé ma chronique, et surtout pas pris de notes sur cette lecture, et que j’ai eu la bêtise de lire et chroniquer le tome 2 (l’article paraîtra prochainement) sans avoir chroniqué le tome 1, qu’en plus mon sentiment à l’égard des deux bouquins diverge complètement, je me suis sentie obligée de relire le premier tome pour replacer mes pensées correctement. Verdict ? Je crois l’avoir aimé un peu moins qu’à ma lecture initiale.

J’ai longtemps hésité à le lire, je dois l’avouer. Parce que les attentats étaient trop récents, parce que j’avais peur que ce soit « indécent » d’écrire et de lire de la fiction basée sur des événements aussi graves que ceux-ci. Mais j’étais intriguée ; curieuse par nature, comme besoin de savoir ce que ça pouvait donner. Impossible de blâmer l’auteur du choix de son sujet — il est des inspirations que l’on ne contrôle pas, quand bien même on voudrait n’en avoir jamais trouvé la source. Je voyais ce roman de plus en plus présent sur la blogosphère, les avis coup de coeur et les notes cent mètres au dessus des nuages. Je ne cédais pas encore. Et puis, c’est la chronique du Carnet Parisien qui m’aura finalement fait flancher.

– Je fais partie d’une génération qui a vu les tours du World Trade Center à New York s’effondrer en direct à la télévision, dit-elle.
Un silence particulier enveloppe la classe brusquement.
– Nous avons été des milliers à passer des heures incalculables à voir et revoir ces images affreuses. Alors je ne dis pas qu’il n’aurait pas fallu les voir, mais rester des heures aimanté devant l’écran finit par tout « déréaliser ».
– C’est quoi Madame, « déréaliser » ? demande Hakim qui intervient pour la première fois.
– Le réel finit par se transformer en un film à suspense, Hakim. Et je ne crois pas que ce soit la meilleure façon pour comprendre le monde et la gravité des choses.

Je me souviens de l’une de mes premières pensées, lorsque j’ai découvert le groupe d’adolescents que nous allions suivre — Caumes, Esther, Hakim, Théo, Kevin, Nicolas, madame Barsacq. Je me suis dit : c’est facile, c’est cliché. Le musulman persécuté, la juive, le fils du maire gauchiste, le complotiste, le raciste dont le père s’affiche en tête de liste Front National, la professeure homosexuelle et puis le blanc bien né sans problèmes, un gamin « privilégié », dans une jeunesse soi-disant « privilégiée » où tout le monde aime tout le monde — black, blanc, beur, ils ne font plus la différence affirment les parents de Caumes, à l’air persuadé que le racisme, au 21ème siècle, c’est fini (oh, ce si doux rêve).

Je ne doute pas une seule seconde qu’il s’agissait, de la part de l’auteur, d’une envie de bien faire, de ne laisser personne pour compte. Il fallait être la parole de tous les partis, donner voix à tous les visages de la France, et même les pires. L’intention est louable, et j’ai aimé la plupart de ces personnages et la façon dont ils se complétaient les uns les autres — Esther, douce et mature ; Hakim, touchant, attachant —, mais je n’ai pas pu m’ôter de la tête que c’était quand même sacrément stéréotypé, et trop hétéroclite pour être tout à fait crédible — quand bien même je suis à deux cent pour cent pour la mixité des cultures et des ethnies, c’a tendance à ne rester qu’une utopie rendue sans cesse inaccessible par les extrémistes surgis de parts et d’autres.

Ces extrémistes, d’ailleurs, on en parle bien vite : dès les premières pages, nous voici projetés en arrière, 7 janvier 2015. Les balles fusent et les journalistes tombent ; Charlie se noie dans le sang, l’art est pulvérisé par les armes. Toutes les générations mises au pied du mur, heurtés par la violence qui frappe la capitale ; tous les Hommes agglutinés devant leurs écrans, BFM et les mêmes images qui tournent en boucle. Ce n’est que le premier d’autres jours sombres qui suivront, et les revivre était particulièrement dur. Je me souviens de ce nœud en travers de ma gorge pendant que je lisais, et que me revenaient mes propres souvenirs de cette semaine obscure ; la même question que l’on se posait tous, alors que rien ne semblait vouloir s’arrêter, comme s’il fallait continuer de rajouter de l’horreur, comme s’il n’y en avait pas assez : quand est-ce que tout ça s’arrêtera ?

J’ai honte depuis mercredi matin. Honte d’être amoureux. Honte d’être tout à mon obsession et de ne pas être totalement assailli – quoiqu’assalli quand même – par la sauvagerie qui paralyse mon pays. Impression de ne pas avoir le droit de vivre ça. Est-ce ma faute si le pire et le meilleur sont survenus au même moment ?

Beaucoup ont reproché à ce roman le vocabulaire employé par l’auteur, cru et sans détour — baiser, branler, bite, chatte, le lexique des jeunes qu’on met difficilement sur papier, et c’était un pari risqué. On grince facilement des dents si l’on aime la littérature, il est vrai parce que Caumes a dix-sept ans, qu’il ne pense qu’à ça et en des termes très peu glamour, et qu’à son âge on imagine — moi la première — être capables de mieux que ces élans primaires à la longue lassants. Pour avoir lu le deuxième tome et lui avoir trouvé un style bien plus poétique, je dois dire qu’en effet, le langage trop familier de la première saison dessert grandement l’oeuvre. Cela dit, mon bouquin est plein de post-it, signes de jolies citations relevées, et ça suffit pour me permettre d’affirmer qu’en dehors de ces termes utilisés à mauvais escient sans doute, Arnaud Cathrine peut se vanter d’avoir, je crois, une très jolie plume — ce que la lecture d’autres bouquins de sa main confirmera peut-être plus tard.

Mauvais point cela dit pour Caumes, donc, puisqu’en sa condition de puceau amoureux, il cause de sexe pendant le trois-quart du roman, avant d’enfin se calmer pour se soucier un peu plus du reste. Je n’ai pas aussi bien accroché à ce personnage que je l’aurais voulu, et c’est dommage ; je l’aurais voulu plus touchant, plus profond, moins immature. J’ai, par contre, adoré les dilemmes intérieurs qui le secouaient : y a-t-il quelque chose à comprendre lorsque l’on embrasse enfin la fille que l’on rêve depuis des mois et que, dans la même journée, des Fous assassinent sans vergogne ? a-t-on le droit d’aimer encore quand l’horreur a frappé son pays, le droit d’éprouver du bonheur quand la France est en deuil national ? Il avait cependant conscience de son égoïsme, parfois, sans être capable de lutter contre — et ça m’a plu, cette façon qu’il avait de s’en vouloir, de ses problèmes existentiels et de cœur insignifiants face au drame, sans savoir faire autrement.
Sa difficulté à faire coïncider la tragédie du monde et son adolescence, ça, ça m’a touchée.

J’ai dix-sept ans, la vie devant moi et de la mort partout. Une saloperie d’équation à résoudre. Je pourrais très bien renoncer. Au goût des choses. Aux règles d’un jeu dont je devine qu’il n’a aucun sens. Oui, je pourrais très bien laisser tomber.
C’est quoi l’autre choix ?

J’appréhendais beaucoup à l’idée de lire ce roman, et je crois que c’était à raison : j’ai manqué pleuré, par deux fois. La première fois en revivant les attentats au jour le jour, presque à chaque heure, les images trop précises à l’esprit, la deuxième fois bien plus tard, vers la fin du roman ; un revirement de situation auquel je ne m’attendais pas, que je ne voulais pas accepter. Un coup dur comme j’aime en prendre dans mes lectures — masochiste, vous avez dit masochiste ?

C’était d’autant plus étrange et dérangeant que je pouvais m’identifier à ces personnages qui, loin de Paris, n’assistaient aux horreurs que par le biais de la télévision, cherchaient à échapper aux images sans être capables d’en faire abstraction. Et, d’être loins de tout ça, une fois rassurés à propos de leurs — de nos — proches traînant dans la capitale, j’imagine que ça jouait sur cette distanciation étrange que nous — ces personnages et moi-même ressentions. Ce doit être de ça que parle Madame Barsacq, dont je cite les paroles dans la première quote au début de la chronique, lorsqu’elle parle de déréalisation… L’impression douce-amère, perturbante, que tout ça n’est pas vrai ; que ça n’est pas possible, pas réel, ça ne se peut pas.

Je recommande ce roman, les yeux fermés. Envers et contre ses défauts, il mérite sa place sur l’édifice, parce qu’il est touchant, peut-être un peu stéréotypé sur les bords, puis, mais vrai tout de même, quoique l’on puisse en dire. Ce serait passer à côté de quelque chose que de ne pas le lire, je crois — pour qui accroche, tout du moins ; et j’espère qu’avec vous aussi, ça le fera.

Top & flops ;
c’est top ; les émotions qui submergent, quelques personnages attachants, une fin frappante, une réalité qui heurte terriblement bien retranscrite, mais ça flop ; un vocabulaire trop familier qui détonne trop avec les phrases poétiques qui s’immiscent dans la prose, un personnage principal trop obsédé par l’idée de coucher avec sa belle pendant le trois-quart du roman.
★★★½ ; à découvrir.
Logo Livraddict

3 réflexions sur “À la place du cœur, saison 1 ; Arnaud Cathrine

  1. Merci beaucoup pour le lien. ❤ C’est vrai que le langage est cru, mais c’est après tout ainsi que parlent les jeunes d’aujourd’hui, alors j’ai trouvé ça plutôt réaliste. Et l’obsession de coucher avec son premier amour… pour moi c’est là le coeur du roman, le héros est pris entre le destin de son pays et son propre destin, la panique de l’humanité et son obsession, son désir… c’est une opposition terrible.

    Aimé par 1 personne

    • De rien héhé ♥ C’est pour ça que personnellement ça ne m’a pas taaaant dérangée que ça, le vocabulaire, même si à ce niveau-là j’ai vraiment préféré le 2 (chronique samedi, six heures du matin :P), dans lequel je trouve que la présence du langage cru est plus tamisée et « abîme » moins la poésie du texte. Mais ça ne m’a pas plus heurtée que ça, contrairement à d’autres avis qui avaient détesté ça ! Et puis, oui, les jeunes parlent comme ça, mais je passe ma vie à lever les yeux au ciel et à reprendre ma soeur quand elle s’y risque, donc ça frustre vite ! xD L’obsession de coucher m’a moins dérangée, encore, comme dit j’adore cette affaire de dilemme dans la tête de notre petit Caumes… mais voilà 🙂 Cela dit je me rends compte que j’ai mis quatorze alors que c’est un quinze /out

      Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire